Alain-Paul Maillard – Évocation de Matthias Stimmberg


Alain-Paul Maillard – Évocation de Matthias Stimmberg
[Traduit de l’espagnol (Mexique) par Florence Olivier – L’Arbre Vengeur, 2015]

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Article écrit pour Le Matricule des anges

Il suffit d’une poignée de pages au mexicain Alain-Paul Maillard pour dessiner en creux le portrait du XXème siècle sous les traits convulsifs de l’horreur qui le perce en son milieu. Marchant avec sa langue à la précision horlogère sur les traces littéraires des vies imaginaires ou minuscules, il retrace l’histoire universelle de l’infamie en quelques brèves nouvelles axées sur le passé d’un certain Matthias Stimmberg, poète autrichien fictif qui selon H. M. Enzensberg aurait fait preuve d’une « indifférence reptilienne face aux dilemmes moraux de notre époque ». Entre l’évocation de l’enfance (celle « de son siècle »), de ses émois et mystères et celle d’une vie adulte toute de misanthropie, le dénommé Stimmberg se confie sans se confier, laissant pourtant transparaitre derrière sa suffisance mesurée toute l’étendue équivoque du comportement et des actions de celui dont on ne sait s’il fut acteur, soutien ou témoin indifférent de l’ignominie. Est-il resté, comme il le prétend, « tapi dans un coin, sans rien oser faire » ? Tout le talent du livre tient à ce que jamais le drame du nazisme n’y apparaisse en pleine lumière (ou alors indirectement, comme lorsque dans la Vienne occupée de l’immédiate après guerre il est question d’exemplaires de Mein Kampf destinés à nourrir des boucs rachitiques). C’est une ambiance délétère qui flotte pourtant à chaque page, où tout pourrait basculer. Le récit des premières déceptions amoureuses, d’une visite dans un asile de fous reconverti plus tard en centre culturel, les premières aventures avec des gitans ou les expérimentations d’un certain « chercheur en espérance », tout ici semble renvoyer à un monde concentrationnaire, à la folie eugéniste, à l’arbitraire d’une Europe en feu. L’auteur, dans une préface à cette nouvelle édition, feint de s’étonner que son petit texte survive aussi bien à l’affront des années. Nulles raisons de se surprendre, pourtant, il suffit parfois de peu pour écrire un grand livre.

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